HaYba  GEOSTRATEGIE – OCEAN INDIEN

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Insurrection au Mozambique : À Quoi Jouent la France et l’Afrique du Sud ?

Arlenis Ali

Ville de pêcheurs et d’agriculteurs vivant au rythme des saisons, Palma est la dernière cible d’un groupe armé sévissant au nord du Mozambique et au sud de la Tanzanie depuis trois ans. À quelques kilomètres des installations de Total, l’attaque du 24 mars intervient moins d’une semaine après la reprise des activités suspendues en début d’année, suite aux violences à Quitunda dans le Cabo Delgado.Avec une participation de 26,5% sur un investissement de 20 milliards US $, le groupe opère Area-1, la plus grande zone d’exploration et de production de gaz naturel liquéfié “Mozambique LNG”.

Idéalement situé à l’entrée du Canal du Mozambique, voie de navigation stratégique aux réserves pétro-gazières immenses, l’opérateur français bénéficie d’un couloir privilégié vers les marchés asiatiques énergivores.Les bénéfices directs évalués à 60,8 milliards US $, équivalent à 50 fois les fonds récoltés par les Nations Unies pour reconstruire le pays après les cyclones Kenneth et Idai. L’État mozambicain mise sur les ressources découvertes en 2010 pour réinvestir dans d’autres secteurs et sortir le pays de la pauvreté, espérant ainsi devenir le 3ème fournisseur mondial après l’Australie et le Qatar.Alors que la production est prévue pour 2024, les négociations impératives et préalables au départ des familles, installées depuis toujours dans cette région misérable et négligée par l’État, n’ont toujours pas abouti. Fortement attachée à son mode de vie, la communauté attend beaucoup des compensations promises en échange des terres, dont le sous-sol regorge de richesses sous-évaluées.

Les champs de manioc, cajou, maïs et cocotier, doivent laisser place aux blocs onshore et zone logistique des compagnies étrangères. Gens du littoral, les Makonde ne sont pas disposés à quitter leur source de subsistance sans garantie de dédommagement (compensation financière, reconversion professionnelle, relogement confortable).D’autant que plus au sud, autour du bloc onshore Tembo-1 où est positionné Maurel & Prom, les villageois sont contraints de quitter leurs propriétés alors que les compensations sont en attente de versement et qu’une mésentente persiste sur la valeur réelle des richesses du territoire.

Au nord, de l’autre côté du fleuve Rovuma qui donne son nom au complexe gazier transfrontalier, la jumelle tanzanienne du Cabo Delgado, en région Mtwara, est le théâtre de dysfonctionnements sur le site opéré par Maurel & Prom. Un rapport montre que les activités d’extraction de gaz sont opérées à l’intérieur du Parc Marin de Mnazi Bay-Ruvuma Estuary (MBREMP). Zone protégée de 650 km2 où les pêcheurs ont été expulsés de force pour “préserver la nature”.

Côté tanzanien dans la baie de Mnazi, les villageois accusent la société française de ne pas respecter le contrat repris au canadien Artumas en 2009. La valeur des terres est revue à la baisse, réduisant le taux d’indemnisation par mètre carré de terrain perdu, à près de cinq fois inférieur à ce que stipule le contrat, soit 250 Shillings tanzanien au lieu des 1170 TZS négocié (soit 43 KMF au lieu de 203 KMF le mètre carré, soit 0,089€ au lieu de 0,41€ !). Par ailleurs, les routes, chemins et sentiers fermés au profit du complexe gazier, n’ont été ni rémunérés ni compensés.

Un pic de contestation est atteint en 2014, quand les villes de Msimbati, Mtwara et les alentours expriment leur colère. Mais à la veille des élections de 2015 qui mènent John Magufuli, expert de l’espace terrestre et maritime tanzanien et interlocuteur privilégié des majors gazières, au pouvoir, les manifestations sont réprimées par les forces armées. Les points stratégiques cumulés par la petite Maurel & Prom et le géant Total le long du bassin tanzano-mozambicain, verrouillent les positions les plus riches en hydrocarbures, où le drapeau français s’élève au-dessus d’une population excédée, désabusée et démunie.

C’est dans ce contexte de tension sociale et d’investisseurs menant une stratégie agressive de cumul des réserves énergétiques à moindre coût, qu’apparaît soudainement un mystérieux groupe armé “sans nom, sans visage”, ni revendication au départ, puis prétendument affilié à l’État Islamique. Il sème le chaos sur les axes principaux et villages aux abords des plateformes gazières, provoquant la fuite des habitants vers l’intérieur du district. Dans le Cabo Delgado, fin 2020, ils sont plus de 500,000 à abandonner leur maison, leurs champs, leur accès vital à la mer. En avril, ils sont plus de 700,000. La terre des ancêtres, à qui ils vouent une adoration, est désormais quadrillée par les forces locales, à la demande de Total qui voit son périmètre de contrôle territorial élargi par la même occasion, au rythme des attaques ciblées, organisées, millimétrées, du groupe terroriste.

Poussant les autorités mozambicaines à accéder à ses demandes, relatives au renforcement et à l’élargissement de l’espace à sécuriser. Suivra le tweet surprenant du Président Macron qualifiant la situation de “menace internationale qui appelle une réponse internationale”Après les attaques de novembre 2020, Total négocie la reprise des activités, en exigeant une zone de sécurité de 25 km autour du site.

Et ce, moins de quatre mois après la signature d’un Pacte de sécurité avec le gouvernement mozambicain, en réponse aux massacres de Mocimboa da Praia où les insurgés ont capturé un port fortement protégé. Une série d’événements bien imbriqués, mettant en lumière l’incapacité de l’État à assurer la sécurité du complexe gazier et, par extension, celle de son territoire. Un scénario qui légitimise l’éventualité d’une intervention militaire extérieure, contraire à la politique souverainiste du Mozambique. D’autant que les renforts aériens des mercenaires Sud-africains s’avèrent insuffisants, voire compromettants.

Des témoins de la dernière attaque affirment qu’ils ont tiré et largué des bombes indifféremment sur la foule tentant de s’échapper d’un hôpital pris d’assaut par les terroristes. Amnesty International accuse Duck Advisory Group (DAG) ainsi que l’armée mozambicaine de crimes de guerre, dans un rapport contesté par Focus Group, une société sud-africaine de renseignement.La zone de sécurité ayant été franchie, Total décide d’évacuer le site fin mars, en déclarant “force majeure”, laissant planer son retrait du projet.

Mais au vu de l’arsenal de la diplomatie économique, activée depuis plusieurs années par la France pour défendre ses intérêts au Mozambique, considéré comme “une pépite à l’export”, la rumeur paraît aussi invraisemblable qu’absurde. Pourquoi Total ne la dément-elle pas? Mettant son pays hôte en position de faiblesse qui, sur la défensive, nie la rumeur par le biais du Directeur de l’Institut national du pétrole.Inquiète, la SADC envisage une intervention militaire.

Mais alors qu’une décision doit être prise en urgence le 29 avril, le Président mozambicain s’envole pour Kigali la nuit précédente, rencontrer Paul Kagame en secret. À la présidence rwandaise, rien ne filtre. Tandis que la presse mozambicaine évoque l’envoi d’une équipe d’officiers rwandais, et le soutien pour la candidature du Mozambique à un siège non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Serait-ce un aveu de méfiance de la part de Filipe Nyusi, Président du Mozambique, à l’égard de son homologue Sud-africain qui, rappelons-le, préside l’Organe de défense et sécurité de la SADC?D’autant que le Mozambique est dans un bras de fer judiciaire avec l’Afrique du Sud, pour l’extradition de son ancien ministre des Finances. Il est accusé d’avoir signé la garantie de l’État pour les prêts contractés entre 2013-2014 par trois sociétés para-étatiques, sans avoir obtenu l’approbation du Parlement. Une dette illégale permettant d’acquérir 24 chalutiers et 6 patrouilleurs aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN), appartenant au très controversé marchand d’armes franco-libanais Iskandar Safa. Officiellement, l’achat est destiné à monter une flotte de pêche au thon.

Dans les faits, le gouvernement mozambicain finance un programme de défense de sa Zone économique exclusive (ZEE).Comme chez ses voisins mozambicains et tanzaniens, l’archipel des Comores dort sur des gisements importants de pétrole et de gaz. Ainsi rapporté par la radio comorienne HaYba FM, les 6 et 8 avril sur sa page Facebook, la France conteste les frontières maritimes comoriennes, convenues entre la Tanzanie, les Seychelles, le Mozambique et les Comores.

Les autorités comoriennes gardent le silence sur ce contentieux avec la France qui, aux yeux des Nations Unies et de l’Union Africaine, occupe illégalement l’île comorienne de Mayotte. Au vu de la situation mozambicaine, l’opinion comorienne commence à s’interroger sur les effets sécuritaires et économiques dans l’archipel.Le silence du gouvernement nourrit l’angoisse des couches éclairées de la population, qui s’interrogent sur la relation entre les richesses pétrolières et cette vague de terrorisme dans la région. Ce manque de transparence sur l’état d’avancement et le volume des richesses du bassin comorien, questionne sur les multiples consultations et accords de défenses signés par le Président Azali avec la France, l’Arabie Saoudite, les Émirats et l’Inde.

Le remaniement discret de l’industrie de pêche comorienne, cacherait-il une prochaine commande “camouflée” de bateaux civils qui seraient en réalité destinée aux activités de surveillance et d’intervention offshore, à l’instar du Mozambique? Après l’attaque de Mocimboa da Praia, les assaillants ont fui par la mer à bord d’un patrouilleur du type HSI. Un de ces bateaux militaires, dont la vente n’a pas été déclarée dans le rapport du Parlement français sur les exportations d’armement, et qui se retrouve donc entre les mains des insurgés que la France dit vouloir combattre.

La militarisation du nord Mozambique est une étape cruciale pour la France qui cadenasse l’ensemble du Canal, et compte bien revenir sur l’archipel comorien, voie d’accès unique au nord du Canal du Mozambique et à son trafic maritime mondial. Total exigerait que la Marine française prenne le contrôle du site offshore, afin de patrouiller au large du Cabo Delgado avec l’Afrique du Sud. L’île de Vamizi située à 25 km au Sud-Est d’Afungi serait en discussion pour être concédée à la France. En plein redressement financier, il est probable que la société Tullow Oil revende ses avoirs du site offshore comorien à Total (blocks 35,36,37) comme elle l’a fait en Ouganda.

La France s’appuie sur ses partenaires, notamment du Moyen Orient. Très présents dans l’Est africain, les Émirats entourent progressivement le pourtour de l’Afrique australe, y compris le port de Maputo, via sa société DP World, contrôlant les voies de transit stratégiques. L’Arabie Saoudite, 3ème client de la France en matière de Sécurité Défense, resserre ses liens avec Moroni, se positionnant comme principal associé de Paris dans la gestion territoriale de l’Union des Comores.Sans oublier l’Inde en base d’appui arrière, possédant aérodrome, ports et stations d’écoute aux Seychelles, Maurice, Madagascar et bientôt une base militaire aux îles Agalega, sud-ouest de l’Océan Indien à 1122 km au nord de Maurice.

Dans le cas d’une intervention internationale au Mozambique, la France et l’Afrique du Sud se soutiennent, confortées par leur relation historique en matière d’armement, sans parler de l’héritage du mercenariat France/Afrique du Sud aux Comores.La militarisation progressive, alarmante, de l’ouest de l’Océan Indien se justifie par une supposée islamisation radicale de ses îles, selon certains médias occidentaux. Le tout appuyé par des rapports d’expertise récents qui peinent à faire sens tant les analyses sont décousues et dépourvues de contexte.

L’orchestre médiatique qui consiste à dépeindre le Canal du Mozambique en futur “hotspot de la piraterie”, lance un coup de projecteur avantageux sur la France, la propulsant aux avant-postes de défense. Ses investissements pétro-gaziers au sud Tanzanie et nord Mozambique, ses territoires de points d’appui à Mayotte et la Réunion, placent la France en position des plus favorables, pour gérer la sécurité maritime de la zone. Sans compter les 425 000 km2 d’espace maritime qu’elle possède avec les îles Europa, Bassas da India, Juan de Nova, Glorieuses. Une Zone économique exclusive couvrant plus de la moitié de la surface totale du canal, faisant de la France le 2ème empire maritime mondial.

Nous assistons à un phénomène singulier où le principe de souveraineté s’exporte des terres vers les mers. Ultime espace de liberté, la mer attire les convoitises de puissances antagonistes, à la conquête de zones stratégiques. Alors que les frontières terrestres n’ont jamais été aussi fluides depuis l’ouverture des marchés, l’espace maritime se voit quadrillé au rythme d’une compétition acharnée, aux enjeux économiques monumentaux, et capable de déstabiliser une région. Au cœur du maillage, se croisent les positions portuaires, les points d’appui insulaires et les Zones économiques exclusives.

Ainsi, l’Est Africain et les îles de l’Océan Indien forment un terrain bouillonnant, où les puissances se livrent une guerre de positionnement autour des richesses pétro-gazières, verrouillant la zone à coups de négociations sur des bases militaires et accords de défense.Doit-on être surpris des récentes déclarations du Président Macron, rapportées par Reuters lors de sa visite en Afrique du Sud le 28 mai, qui se dit prêt “à prendre part à des opérations sur la partie maritime” si la SADC décidait d’intervenir au Mozambique?Arlenis Ali est Docteur en Philosophie, Assistante de recherches au CNRS – Marseille – Aix.

HaYba FM la Radio Moronienne du Monde

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