HaYba WEEKEND  Fundi Soulé Bacar, l’Artisan Cordonnier d’Ikoni qui a redonné vie à la Cordonnerie d’art.

HaYba WEEKEND Fundi Soulé Bacar, l’Artisan Cordonnier d’Ikoni qui a redonné vie à la Cordonnerie d’art.


Du haut de son mètre soixante cinq, les cheveux grisonnants, Fundi Soule Bacar, le fondateur de Djabal Cordonnerie, relate son histoire tel un conte de fée. Autodidacte il a fini par s’imposer comme la référence en matière de confection de chaussures traditionnelles.

Depuis plus de vingt ans cet homme fait revivre un savoir qui avait presque disparu au fil des dernières décennies. L’art de la chaussure traditionnelle s’est tarie au rythme de la disparition des grands maîtres. La faute incombe à ces derniers qui ont systématiquement refusé de prendre des apprentis pour ne pas vulgariser cet art. De Zindari le cordonnier du Sultan de Bambao Said Ali en passant par Msaidie Abedi son apprenti, l’art de la chaussure traditionnelle a eu ses heures de gloire. Hélas la disparition en 1991 du dernier grand maître connu, Mbaba papa de Madjenini, Moroni, a mis fin à la longue tradition d’artisans qui ont façonné et enrichi le mode vestimentaire comorien du moins en ce qui concerne les Makubadhu ; car Mhamadi Ipvessi de Zipvandani, spécialiste des Zilatru vit toujours.

Au départ la chaussure traditionnelle était fabriquée à partir de peau d’animaux ( chèvre, mouton, bœuf). Les peaux étaient trempées dans l’eau de mer pour enlever les poils et éliminer les odeurs. Ensuite pour le tannage, de la chaux était mélangée avec une variété d’algue qui se trouve à l’intérieur du lac salé ( Bangwa-kuni) pour faire ressortir la couleur marron du cuir avant de passer au séchage. C’est après tout ce processus que le maître cordonnier passait à la confection, un travail pénible. C ‘est pourquoi au palais royal Kapviri Djewe d’Ikoni, Zindari le cordonnier de la cour était obligé d’engager des petites mains, souvent des servantes pour gagner du temps dans la production des sandales du Sultan Ntibe.

LE DÉCLIC

Au milieu des années 1980 durant le mois de ramadan Soule Bacar comme bon nombre de jeunes de sa localité (Ikoni) venait à Moroni pour écouler quelques marchandises pour mieux préparer l’Aid El Fitr l’une des grandes fêtes du calendrier lunaire aux Comores, qui marque la fin du jeûne du ramadan. C’est durant cette période qu’il a découvert cet art auprès de Mbaba papa, le seul maître toujours en vie à l’époque. S’il n’a pas réussi à se faire accepter comme apprenti, c’est néanmoins de cette rencontre que naquit sa passion pour la chaussure traditionnelle.

LE DÉBUT

Le 19 Août 1991 avec l’ouverture de la Cordonnerie Lacoste Minute venue concurrencer Goda & fils Soule Bacar était choisi par le propriétaire pour être le chef cordonnier. Un poste qu’il occupera 7 ans durant avant d’être débauché par la Cordonnerie Tocha une nouvelle arrivant venue grossir les rangs de la concurrence. Il faut savoir que dans ces années 1990 la Cordonnerie était un marché florissant, boosté par l’arrivée massive des touristes étrangers attirés par l’artisanat local. Une époque où l’hôtel Galawa Beach rebaptisé plus tard Galawa Sun servait de poumon économique à des centaines d’artisans. Une place réputée du tourisme international qui n’avait rien à envier aux plus grandes hôtels de la région.
En même temps qu’il exerçait dans le privé Soule Bacar était aussi le cordonnier de l’armée au camp militaire de Kandani, donc une vie consacrée entièrement à la chaussure. Lassé de travailler pour les autres, il a décidé de toute arrêter en 1998 et de se lancer à son propre compte.

KAZI PVAMBA DJEWE

Pour revivier l’art de la sandale traditionnelle, il a opéré un changement radical en optant pour des produits nouveaux souvent composé de matériaux recyclés. Fini le temps des peaux d’animaux qui étaient à ses yeux à la fois difficiles à travailler mais aussi économiquement moins rentables. Pour ses nouvelles chaussures il utilise pour les gabarits ou semelle interne du carton recyclé couvert par du similicuir, des semelles recyclées ou achetées font office de talon ou semelle externe et une finition à base de Ndaya ou dattier sauvage. Pour la partie supérieure ou tige de la chaussure il emploie les même tissus que ceux utilisés pour les habits d’apparat traditionnel ( Djoho, Dragla…) avec les motifs faits à base de fil d’or ou d’argent. Pour une paire le coup de production se situe entre 5000 et 7500 kmf (10 à 15€) actuellement et la durée de production varie selon le modèle. Pour le modèle simple (20 000 kmf/ paire) une demi- journée suffit. Par contre pour les modèles ouvragés à 30 000KMF la paire, la finition est faite par une collègue d’Itsandra Mdjini. Cela demande plus de temps sans dépasser les 48h. Pour les commandes, Soule Bacar nous avoue que souvent il est débordé surtout en période de grand mariage. C’est pourquoi en 2011, il a dû fermer boutique pendant 9 mois pour réorganiser son entreprise. Financé par l’Agence Française de Développement ( AFD) et l’Union Européenne et géré par Planet Finance, un programme intitulé  » Commerce équitable et Microfinance dans le secteur de l’artisanat aux Comores  » était proposé aux artisans pour mieux s’imprégner des nouvelles méthodes de travail. La formation intégrait entre autres l’organisation du travail, la gestion de la clientèle, la diminution des coûts de production et le respect des délais de commande.
Apres cette formation le taux d’insatisfaits a nettement baissé grâce à une bonne régulation entre les nouvelles commandes et celles déjà en voie de finition pour éviter tout encombrement dans son atelier. En moyenne, durant les grands mariages une période allant de Juin à Décembre, les commandes peuvent atteindre une centaine de chaussure pour un coup de production totale de 750 000 kmf soit 7500kmf la paire.
Si ça ne rend pas riche, mais ce travail permet à Soule Bacar de vivre décemment, à l’abri de tout besoin. Pour perpétuer la tradition de sa localité et en mémoire du palais royal Kapviri djewe, au cour d’une cérémonie le 12 décembre 1999 consacrée aux jeunes intitulée « la jeunesse à l’aube de l’an 2000 », il a baptisé ses chaussures Kazi pvamba djewe (ne sont pas chaussées par des ratés). Cela se passait au Palais du peuple en présence du président Azali. Pour la petite histoire la paire de chaussures du baptême a été offerte au président.
Contrairement aux anciens la transmission de son savoir est assurée grâce à son fils aîné Miyade qui a appris à ses côtés et qui est devenu par la suite celui qui a formé une demi-douzaine d’apprentis, aujourd’hui devenus maîtres. Cet apport de Soule Bacar vient s’ajouter à la longue tradition d’une lignée de grand maîtres ( hommes et femmes) de la ville d’Ikoni dans l’artisanat, particulièrement la broderie d’art (Zindari, Bwara, Ibrahima fundi, Fatma al-hamid …) qui ont marqué leur époque tout en laissant des traces bien des années après leur disparition.
Photos : Badraoui
Ahmed Said Badraoui

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