À Zanzibar, les wageni – ces Comoriens nouvellement arrivés – qui ne parvenaient pas à s’intégrer aux wazalia, restaient solidement tournés vers leur île natale, Ngazija. Ils privilégiaient l’usage du shiNgazija dans leurs échanges plutôt que d’adopter le kiSwahili, qu’ils qualifiaient de kiShenzi (« langue barbare »). Leurs ambitions étaient principalement centrées sur leur retour au pays, avec l’espoir d’y améliorer leur statut grâce à leurs économies, plutôt que de s’ancrer à Zanzibar. Ces immigrés économisaient pour financer des mariages ada (traditionnels), et les affranchis aspiraient également à acquérir des terres, notamment pour les cultures commerciales.
Comoriens à Zanzibar : l’Équilibre Fragile Des Wageni Et le Paradoxe Des Wazalia
Leur perspective temporaire les amenait à n’inscrire leurs enfants qu’à l’école coranique. Bien que l’école comorienne leur fût accessible, ils préféraient éviter les frais de scolarité et se méfiaient de l’éducation laïque. Aux yeux de ces wageni, les wazalia apparaissaient comme des renégats ayant délaissé leur langue et leur attachement aux Comores. Ne partageant pas les objectifs de l’Association comorienne¹, ils créèrent leurs propres chamas (associations), initialement organisées par sultanats, avant de se regrouper sous le sigle MMC (MNgazija Mfaransa, ou Club des Comoriens Français). Par cette appellation, ils réaffirmaient leur lien avec les Comores plutôt qu’avec le Zanzibar sous influence britannique, tout en s’appuyant sur leur nationalité française.
Certains wageni entretenant des liens avec les wazalia traversaient une période d’incertitude. Ils cherchaient à combiner les bénéfices d’une vie à Zanzibar avec une position honorifique dans leur région natale. Après plusieurs années de travail et de mariage à Zanzibar, ils retournaient aux Comores pour accomplir un mariage ada. Ils restaient parfois sur place le temps d’avoir un ou deux enfants avant de repartir à Zanzibar, souvent en laissant leur épouse derrière eux. Dans certains cas ils ramenaient l’épouse à Zanzibar, au risque de provoquer des tensions familiales.
D’autres wageni, devenus prospères à Zanzibar, redoutaient leur retour. Ils craignaient l’envie suscitée par leur réussite, pouvant, selon leurs croyances, se traduire par des malédictions ou l’affliction d’un djinn. Et même s’ils ne le disaient que rarement, ils étaient réticents à revenir dans le monde des obligations coutumières de Ngazija, où leur richesse serait redistribuée et où ils devraient se soumettre à des aînés qu’ils estimaient incapables de respecter selon les standards de Zanzibar. « Nous envoyions de l’argent, mais nous ne sommes pas retournés », confiait l’un d’eux.
Les wazalia, pour leur part, visitaient rarement les Comores. Leurs épouses venues de Ngazija les rejoignaient parfois, mais ils ne retournaient que très rarement y vivre. Leur principal objectif était d’être bien intégrés et respectés à Zanzibar. Cela les poussait à privilégier le kiSwahili au shiNgazija, à donner à leurs enfants des prénoms musulmans locaux plutôt que comoriens, et à investir leurs ressources dans des initiatives zanzibarites.
Cependant, leur identité restait profondément liée à leurs origines comoriennes. Les wazalia bénéficiaient de la réputation positive construite par leurs prédécesseurs sous les sultans omanais et les Britanniques². Leur fierté communautaire s’exprimait à travers des pratiques culturelles distinctives, les différenciant des Swahilis indigènes. Malgré des interactions limitées avec les wageni – principalement lors de mariages ou de funérailles – un observateur extérieur aurait perçu une continuité culturelle significative entre les deux groupes.
En effet, si leurs statuts et objectifs différaient, wazalia et wageni partageaient un sentiment d’appartenance collective et n’étaient pas aussi conscients de leur séparation, à ce stade, que ce que j’ai pu décrire. Les wageni s’appuyaient sur la position sociale consolidée par les wazalia, et certains se référaient aux wazalia les plus respectés en les appelant wazee wetu (« nos aînés »).
Arlenis Ali
¹Ali, A. (2025) Quand la Première Association Comorienne De Zanzibar Évitait l’Inclusion des WaNgazija Au Profit des Wazalia, Hayba Weekend Magazine (édition 4 janvier 2025)
https://www.facebook.com/share/p/19eu4b2Zu9/
²Ali, A. (2023) Zanzibar Sous Bargash: Des Comoriens dans les Entrailles du Pouvoir, Hayba Weekend Magazine (édition 19 novembre 2023, republié le 15 décembre 2023 et le 17 janvier 2025)
https://www.facebook.com/share/p/18JMAaiTN8/?mibextid=wwXIfr
²Ali, A. (2023) Des Sultans et des Révolutions: le Destin des Comoriens à Zanzibar
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